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CHECK ENGINE



Je m'étais levée très tôt ce matin-là.

En fait, c'est faux.

J'avais fait de l'insomnie, j'avais pas dormi de la nuit pis à 6h j'avais abandonné l'idée de dormir.

Je m'étais convaincue que j'étais en forme et j'avais commencé ma journée.


Mon plan était d'aller visiter la montagne Shymbulak qui surplombe la ville d'Almaty.

Almaty possède un panorama hors du commun. Ayant été longtemps la capitale du Kazakhstan, avant de laisser sa place à Astana en 1998, elle demeure la plus grande ville et la plus peuplée du pays.


Son nom signifie " ville des pommes" .

Elle est entourée de vergers.

Almaty est bordée par la chaîne de montage Trans-Ili Alataou.

Elle possède grosso modo le même climat que nous, mais bien entendu, dès qu'on s'aventure dans l'Alataou, la neige fait son apparition très tôt dans l'année ( genre là là! ).


J'étais donc embarquée dans mon bolide soviétique à 7h pour faire les 2h de route qui me séparaient de l'accès à la montagne.


C'était notre dernière journée ensemble à UAZ et moi.


Mon vol quittait cette nuit-là, d'Almaty, pour m'amener vers les frontières du Turkménistan.

Arrivée à ce qui me semblait être l'accès au téléphérique pour monter jusqu'au sommet enneigé du mont Shymbulak, j'avais constaté que la barrière pour continuer en véhicule au deuxième palier était ouverte au passage.

Bah du moins... y'avait personne en vue pour m' empêcher de passer.


Le mont Shymbulak a 3 plateaux.


Habituellement, les véhicules ne peuvent atteindre que le premier et c'est à l'aide d'un téléphérique que l'on franchi les deux autres pour atteindre le sommet.


J'avais donc entamé l'ascension vers le deuxième plateau avec UAZ.

Le premier 10km est en route asphaltée mais ça se transforme rapidement en route de terre pas trop tappée.

Plus j'avançais sur la trail, plus il faisait frette.

Ça montait en altitude.


J'ai atteint le deuxième plateau et j'ai stationné UAZ dans le parking complètement vide, près du téléphérique.

La route était bloquée à partir de là, de toute façon.

Conditions météorologiques.

Il neigeait à plein ciel.


J'ai pris le téléphérique, je me suis rendue jusqu'au sommet où j'ai commandé un café le temps d'apprécier la "tempête de neige".

Ça faisait longtemps que je n'avais pas vécu de neige.

Je n'étais aucunement habillée en conséquence, j'étais supposée être dans le désert...pas sur une montagne enneigée.

Il faisait vraiment froid.


1hr plus tard je suis redescendue en téléphérique vers le deuxième plateau.

Uaz était là, toujours tout seul, qui m'attendait dans le stationnement.

J'ai mis la clée dans l'allumage, j'ai tenté de partir la machine....RIEN.


Tu vas pas me faire ça là, hein ? Que je lui dis.


J'ai enlevé la clé et recommencé le processus de démarrage.


Toujours rien.


"Aaaaasti de machine de communiste du criss."


Troisième tentative.


Le moteur part mais à une très faible puissance.

Je remarque que la pâle lumière jaune du "check engine " s'est allumée.


J'embraye en première, je donne du gaz, le moteur étouffe.


À 3 reprises, je refais le même exercice avec le même résultat.


Je devais me rendre à l'évidence; j'étais prise au deuxième palier, sans connexion internet, avec ma machine d'après guerre.


J'ai alors fait ce qui me semblait le plus approprié de faire dans de pareilles circonstances : pleurer et m'appitoyer sur mon sort.

Pouuuuuuuurquoiiiiiiiiiii mouaaaaaaaaaa ?

C'est paaaaaas juuuuuuuuuste !


Après 3 minutes, j'ai commencé à trouver ça contre productif.

Je me suis ressaisie.


J'ai alors eu le reflexe de tirer la clanche du hood et d'aller vérifier à l'intérieur du capo COMME SI JE CONNAISSAIS QUELQUE CHOSE LÀ DEDANS, tsé.


Parce-que dans mon monde à moi, enclancher le verrou d'un hood de char donne miraculeusement , en un claquement de doigts, toutes les connaissances d'un DEP en mécanique.


Avant même que je ne m'en aperçoive, j'étais dehors, frigorifiée, devant le truck, le hood dans les airs et je fixais la mécanique.

Pis bin...J'ai vérifié l'huile, parce-que c'est la seule chose que je savais faire.


Conversation avec moi-même :

-Euh. Tu fais quoi là ? T'es tu en train de te faire accroire que tu connais ça pis que tu vas trouver le problème en fixant l'intérieur du capo ?

-Peut être bin...

- Aaaaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhh.....faque, selon toi, ça l'air de quoi?

- Baaaaahhhh...selon moi, tout à l'air bin beau là dedans!


J'ai refermé le capo, je suis entrée dans le truck et j'ai fait ce que n'importe qui d'autre aurait fait : décoller le tape qui servait à tenir le pare-soleil en place côté conducteur, le prendre et le coller sur le cadran du check engine.


Si je ne vois pas le problème, y'existe pas !

Le déni est un endroit si confortable!


J'ai refait une ultime tentative de démarage.

Le Truck a encore étouffé.

La technique du tape avait pas marché.

J'avais épuisé tous mes skills en mécanique.


Pas le choix.

Je devais prendre le téléphérique jusqu'au premier palier, où il y avait de l'Internet et appeler Markus, le locateur.


Je suis redescendue.

Je me suis installée au café.

J'ai appelé Markus via Whatsapp.


- Hey Markus ! C'est Claudine avec le UAZ ...

-Hummmmm

- Ouin bin c'est ça là...le Truck part pus.

-Hummmmm, ça arrive des fois....t'es où ?

- Shymbulak.

- Au stationnement payant?

- Bin...au deuxième palier là....

- (série de mots en russes que je soupçonne être des blasphèmes) Tu fais quoi au deuxième palier? T'as pas le droit d'être là.

- Personne m'a dit que j'avais pas le droit d'être là...

-Y'a une barrière!!!

- Naaaahhh...pas vue ça, moi....

- Y'A UNE BARRIÈRE!!!!

- ouin bin, elle était ouverte...

-POUR LES PATROUILLEURS EN QUAD, CLAUDINE.( série de mots en russe)

- Baheu.....le Truck est là....

- Il a quoi, exactement?

- Bin, selon moi tout a l'air beau mais, tsé, il part plus pis le check engine est allumé... J'ai essayé de mettre du tape par dessus mais ça pas marché.

- T'as fait quoi? J'ai pas bien compris.

-Non non... rien. J'ai rien fait Markus.


Long soupir.


- Je ne peux pas envoyer une remorque au deuxième palier, ça ne passera pas. Tu vas devoir le descendre. Je connais la trail.... tu vas te mettre sur le neutre, enlever le break a bras, pousser le Truck jusque dans la côte et essayer de le partir en deuxième en pleine descente. S'il part pas, la pente est assez à pique pour te donner du jus jusqu'en bas.


- Mais non ! Non, Non, Non...Pas pour vrai ?

- Oui, pour vrai et juste pour être certain qu'on se comprenne bien là...t'es consciente que tu dois être DANS le véhicule quand il descend, n'est-ce pas ?

- Hein ?

- Ne le pousse pas à partir de derrière! Pousse le à partir de la porte ouverte du conducteur pour pouvoir embarquer quand il entame sa descente...

- Franchement ! Je comprends le principe Markus! Je ne pensais pas faire mon jogging du jour en courant en arrière du truck !

- Désolé, c'est que j'avais cru comprendre que t'avais mis du tape sur la lumière du check engine....je voulais juste être sûr.

- .... Pffff.....non, t'as mal compris.

- OK , appelle moi rendu en bas ( mots en russe à l'infini)


Ça fait que je suis remontée au deuxième palier et que du haut de mes 5'1 et demi, le marche pied en plein à la hauteur des genoux, j'ai mis UAZ sul neutre pis j'ai poussé.


Je ne peux même pas te dire à quel point j'ai poussé.

Ça ne bouge pas sur un 10 cents, cette machine-là...

C'est lourd, cette machine-là.


Je ne fredonnais pas la mélodie du bonheur, mettons.


J'étais plutôt dans le registre "Ma vie c'est de la marde" de Lisa Leblanc.


Mais toujours est-il que j'ai poussé, poussé pis poussé, en sautillant une fois de temps en temps tout en me pettant les genoux sur le marche pied, pour être capable de voir par la fenêtre où j'étais rendue et que j'ai finalement atteint la côte.


J'ai réussi à partir UAZ, en deuxième vitesse, dès les premières minutes de la descente.

Je ne l'ai jamais arrêté.

Passé le premier palier, j'ai continué tout droit et j'ai fait 1h45 de route pour me rendre au comptoir de location voiture où j'ai remis, 5h d'avance, les clés du bolide à Markus.


Quand je suis arrivée, Markus était vraiment content de revoir son précieux sain et sauf.

Il a procédé à l'inspection du véhicule pour libérer mon dépôt de garantie.

Il a examiné l'extérieur, puis dès qu'il a pris place à l'intérieur, il a instantanément rouvert la porte du côté conducteur, m'a fait signe de m'approcher et il m'a pointé le cadran du check engine :

- T'as vraiment mis du tape sur le check engine ?!


Avec tout ça, j'avais oublié, d'enlever le tape...


Faque je lui ai répondu, tout simplement :

-Oh attend, je vais prendre une photo !!!


Il m'a fixé, en hochant la tête, pendant au moins 2-3 longues minutes avec un air de "J'y crois pas...je suis dépassé par ce que je suis en train de vivre."


Je lui ai répondu par un mouvement de main de " Laisse tomber, tu peux pas comprendre ! "


Markus a libéré mon dépôt de garantie, il m'a appelé un taxi vers le centre ville et c'est comme ça que notre histoire, à UAZ et moi, s'est terminée.

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