LE BAR OPEN DE BENZODIAZÉPINES
- claudinelussier185
- 28 mars
- 5 min de lecture

En tant que travailleuse autonome québécoise, sans assurance dans son propre pays, il y a trois choses que je « redoute » quand je retourne au Québec :
-Avoir mal aux dents
-Être malade et avoir besoin de médicaments qui coûtent la peau des fesses
-Avoir besoin de nouvelles lunettes
Tsé, les trois choses qui peuvent te ravager un fond de prévoyance en l’temps de l’dire.
J’ai découvert, la semaine dernière, que les lunettes de vue, ici, coûtent une fraction du prix de ce que je paye en temps normal au Québec.
Je m’en suis acheté deux paires qui, soit dit en passant, étaient prêtes en moins de 48hrs chez l’optométriste.
Coût total de ma facture : 229$ CAD.
Bonne chose de faite. J’en avais besoin. Check !
Mon retour au pays étant prévu dans 3 semaines, je me suis alors demandé : "Bon, à part les lunettes, de quoi ai-je besoin qui pourrait me revenir moins cher ici qu’au Québec ?"
J’ai la chance d’être en santé.
Je ne prends pas de médicament sur une base régulière, mais j’ai tout de même quelques prescriptions à mon dossier.
L’été dernier, pour une foule de raisons, je me suis mise à faire des crises de panique incontrôlables, à répétition.
À chacun ses combats.
Mon médecin m’a prescrit des anxiolytiques en prenant soin de m’aviser que je ne pouvais pas « vivre » sur une prescription du genre.
Que le médicament avait tendance à créer une forte dépendance.
Je devais me mettre à la méditation, au Yoga ou trouver un moyen de me calmer les nerfs, mais de n’utiliser les 10 comprimés prescrits qu’en cas de force majeure.
Quand je suis allée chercher ma prescription à la pharmacie, à Montréal, le pharmacien m’a tenu le même discours : « Faites attention. Espacez le plus possible la prise des 10 comprimés car le médicament crée une dépendance. Votre prescription n’est pas renouvelable. »
Ils m’ont fait tellement peur que je n’ai même pas osé prendre une seule dose de ce médicament-là avant plusieurs semaines!
En tout près d’un an, je n’ai utilisé que 8 des 10 comprimés.
Assise dans mon divan, je regarde mon pot de pilule placé sur l’étagère du salon.
Je me dis : « Je me demande si les médocs sont moins chers, ici. Bah, ils ne voudront jamais me donner de pilule sans prescription, sans avoir vu un médecin…Mais bon, ça coûte rien d’essayer, ».
Je prends les 4 médicaments sous prescription que je possède et je me rends à la pharmacie du coin de la rue.
Le commerce est tout petit.
C’est uniquement un comptoir avec un pharmacien derrière lequel se trouve un paquet de médicaments.
That’s it.
- Bonjour, j’aimerais savoir comment faire pour renouveler une prescription canadienne et le coût des médicaments, svp.
Sa réponse me choque.
-Prescription ? ce n’est pas nécessaire. De quoi as-tu besoin ?
Je sors les contenants de mon sac et je les place sur le comptoir.
Il regarde chacun d’entre eux.
Sur ma prescription d’anxiolytique, il y a un gros tag rouge sur lequel est indiqué NON RENOUVELABLE.
Je me dis que celui-là ne passera pas…
C’est du Clonazepam.
Ça crée de la dépendance, c’est fort…
Il se retourne, va dans son arrière boutique et revient quelques minutes plus tard avec en main, 6 boîtes de médicaments.
Il me remet mes 3 premiers médocs puis en me montrant une boîte rose, il me dit :
-Vous me demandez du Clonazepam, mais je pense que de l’alprazolam serait plus efficace.
Je reste bouche bée une fraction de seconde en me disant : "mais tu ne m’as même pas demandé POURQUOI j’utilise ce médicament-là…comment tu pourrais savoir qu’un autre serait plus efficace si tu ne connais pas l’usage que j’en fais !?"
Je lui dit d’attendre un instant.
Je sors mon cellulaire, je google Alprazolam.
XANAX.
Du Xanax, criss !
Je ne suis pas dupe ! J’ai vu le reportage sur Netflix ! J’en veux pas de ton Xanax, buddy !
Je lui dis que je préfère m’en tenir à ma prescription de Clonazepam.
Il sort alors 2 autres boîtes de sa poche et me dit en me les montrant :
-Votre prescription est de 0.5mg. C’est faible. Je peux vous donner 1 ou 2 mg si vous préférez.
C’est FAIBLE ???
Je prends une pilule de Clonazepam 0.5mg et je suis K.O.
Je tombe endormie en 30 minutes et je me réveille 8hrs plus tard avec un filet de bave collé dans face en chantant la mélodie du bonheur.
Ça gèle c’t’affaire-là !
-Neunon. Je vais m’en tenir au 0.5mg. Merci.
L’air de ne pas comprendre, il scanne la boîte et l’ajoute à la facture.
À ce moment-là, je ne porte pas attention à la quantité de médicament qu’il me refile.
Je me dis qu’une boîte doit contenir 10 pilules, ce que mon médecin avait prescrit.
Je paye.
Mes 4 médicaments sous ordonnance qui m’ont coûté près de 250$ au Québec, avant mon départ, me reviennent ici à 83$.
J’arrive à la maison, je sors les boîtes de mon sac et à mon grand étonnement, je réalise que la boîte de Clonazepam contient 60 comprimés.
60 !
Il veut ma mort, le con !
Je reste assise sur mon divan à fixer la boîte de médoc et à me demander si je suis tombée sur le pharmacien le plus dépourvu d’éthique de toute l’Argentine ou si c’est juste « comme ça » ici.
Je dois savoir.
Je me lève, je laisse toutes mes boîtes de médoc sur la table du salon et je marche, de façon déterminée, vers la pharmacie qui se situe deux coins de rue plus loin.
J’entre et sans même me présenter, je dis à la jeune femme derrière le comptoir :
-J’aurais besoin de Clonazepam.
- Bien sûr. 1 ou 2mg ?
Elle ne me propose même pas ma « faible dose » de 0.5mg.
-Je ne sais pas. Je vais devoir revenir…
Je sors de là complètement "flabergaster".
L’Argentine est un bar open de benzodiazépine.
Je pourrais faire toutes les pharmacies de Palermo, les unes après les autres, et revenir au Canada avec des centaines de comprimés de « drogues fortes » causant de sévère dépendance, et ce, en toute légalité.
Fuck.
Le pharmacien n’a pas manqué d’éthique professionnelle, il n’y a juste AUCUNE éthique concernant la médication sous ordonnance en Argentine.
En soif de comprendre, j’ai donc passé des heures à lire différents articles, en français, en anglais, en espagnol, sur le sujet.
Le système de santé publique est gratuit, en Argentine, mais celui-ci est d’une inefficacité et d’une inégalité notoire, ce qui fait en sorte que seuls les mieux nanties peuvent avoir accès à des diagnostiques et des soins dignes de ce nom en se tournant vers les cliniques privées.
Le système privé, qui lui est de qualité, coûte tellement cher que l’autodiagnostique et l’automédication sont permis.
J’ai été incapable de trouver quelconque référence sur le nombre de personne prise avec des dépendances de médicaments sous ordonnance, au pays, mais je suis convaincue que la statistique doit faire peur.
Je suis tombée sur plusieurs articles de journaux, de documentaires, faisant référence au problème entourant le système de santé en Argentine, dont celui-ci, très pertinent :
« Les gens arrivent avec des prescriptions d’Antibiotiques, mais repartent avec des anti douleur puissants ».
J’ai regardé ma boîte de Clonazepam.
Je l’ai ouverte, j’ai pris 5 tablettes contenant chacune 10 comprimés et je les ai crissé aux vidanges.
J’en ai conservé 10.
10 pour un an.
C’est ce que mon médecin m’avait prescrit.
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